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Marie Darrieussecq

Ce texte a paru dans le livre du CDN d’Orléans, en 2011

Auschwitz un premier août : l’herbe haute et verte, les fleurs, les papillons, et des touristes en goguette. Rien de la solennité attendue, Auschwitz à cette date de début de vacances est un lieu de visite parmi d’autres, entre la belle Cracovie et les mines de sel (autre fleuron vanté par les syndicats d’initiative locaux). Depuis Cracovie, Auschwitz se visite pour 20 euros. J’y suis moi-même « par hasard », si l’on peut se trouver par hasard en un tel lieu (j’étais en Slovaquie, à deux heures de là, pour une bourse d’écriture). De toutes façons, ici, toutes les phrases sont impossibles. « A quelle heure ferme Auschwitz ? » « On peut manger, à Auschwitz ? » Et même ce texto que j’envoie à la baby sitter : « Je rentrerai vers 22h », quand personne ne rentrait de ce lieu. Je suis d’ailleurs effarée par le nombre d’enfants qui accompagnent leurs parents, et qui jouent, là, sur la rampe de sélection. Au parking où nous nous garons, un jeune homme nous tend un papier, je suis persuadée que c’est le plan du camp : non, c’est une pub pour une pizzeria. Et que dire de ce Musée du Rail Polonais, à un kilomètre environ avant le début du camp, avec sa belle locomotive rouge et or fièrement installée sur le rond point à côté de la voie ?  Et de cette grande publicité pour l’hypermarché Carrefour, vantant de la viande à bas prix, avec sa photo de rôti rouge vif juste là, à la sortie du camp ? Bien sûr, le capitalisme ne s’arrête pas à Oswiecym, qui est une ville « normale », avec ses commerces, son  église, ses bistrots, son lotissement avec vue sur le camp. Les navettes qui font l’aller-retour entre les deux camps sont, elles, intelligemment libellées : « Musée Auschwitz », et « Musée Birkenau », car on ne va pas à Auschwitz en navette, on y allait en train, et il n’y avait pas de retour. Tous ces touristes rieurs, qui papotent à l’ombre des peupliers devant les chambres à gaz, et boivent même de la bière, viennent voir le « truc dingue » qui s’est passé ici ; un lieu « sensationnel », et connu du monde entier. Rien, dans leur attitude, n’est véritablement offensant pour la mémoire (il vaut mieux qu’ils viennent, que pas). Mais c’est comme si je me retrouvais seule, en ce premier août, à devoir assumer la gravité de l’endroit, et j’en reste bras ballants, démunie, dans cette atmosphère de pique-nique.