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Marie Darrieussecq

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2011 |

Clèves

Clèves raconte l’éveil à la vie amoureuse et sexuelle d’une petite fille, en province, dans les années quatre-vingt… Les trois parties du livre respectivement intitulées « Les avoir » (les règles), « Le faire » (l’amour), « Le refaire » (l’amour, encore, bien sûr : une seule fois ne suffit jamais...), donnent bien la temporalité et la dramaturgie de ce huitième roman de Marie Darrieussecq.

« Les avoir »
Nous sommes donc en province, au Sud, pas loin d’un océan où l’on surfe (on aura reconnu le Pays Basque, cher à l’auteur). La petite héroïne, Solange qui n’a pas les yeux dans ses poches, ni l’intelligence en veilleuse, se débat entre une « école obsédée par le sexe » – on n’y pense qu’à ça, on n’y parle que de ça, dans les termes les plus crus – et des parents pour le moins absents (un père volage, hâbleur, rarement là et une mère dépressive : Solange passe la plupart de son temps chez un voisin, un adulte un peu étrange).
Surviennent enfin les règles : il n’en a jamais été écrit comme cela. Loin de tout lyrisme féministe mièvre ou exalté, d’une manière à la fois précise et dérangeante parce que brutale, non métaphorique et surtout assez enfantine pour déranger encore plus.

« Le faire »
Évidemment, le premier épisode passé, cela devient la grande affaire. Il faut choisir le garçon qui procédera, ou se laisser choisir (Solange a-t-elle seulement le choix ?). Stratégie, tactique, séduction. Copines et confidences. Le village devient une vraie Cour, avec ses intrigues, ses renversements d’alliance (d’où le titre).
Dans le cas qui nous occupe, et sans entrer dans les détails, ce ne sera pas vraiment une réussite. Il faut donc sans tarder le refaire.

« Le refaire »
Solange n’a plus dix ans, mais elle n’a pas encore seize ans. Il n’empêche, elle ne pense plus qu’à ça. Comme la précédente, mais davantage encore, cette partie montre les filles en proie aux garçons, la soumission des unes et la brutalité des autres. Alors Solange va trouver à son tour sa victime à elle auprès de qui elle devient une Lolita sans scrupules.

Clèves est un texte extrêmement perturbant, qui met au service d’un réalisme radical une rare inventivité littéraire. Marie Darrieussecq y décrit un monde d’enfants en mutation, loin des adultes qui ne voient rien et qui, quand ils voient, ne comprennent rien. C’est violent, beau, drôle et cruel. »

Editions POL

Clèves construit sous la forme d'un roman d'apprentissage, opère une plongée dans l'univers perceptif d'une petite fille puis d'une jeune fille des années 1990 dont les transformations corporelles l'amènent progressivement à la conscience d'avoir un corps de femme. L'auteure y examine les processus et tentatives d'incorporation de l'identité féminine par un personnage dont les stigmates corporels de sexe et de classe la placent dans une double marginalité. Truismes pouvait être lu comme un récit allégorique de puberté, comme la saisie poétique des représentations du corps féminin et du corps sexué qui structurent notre société, et ce grâce à l'écriture de l'allégorie et de l'anti-utopie. Chacune des deux métamorphoses, l'une allégorique et l'autre réaliste, rendent visibles les représentations idéalisées du corps féminin en les détournant. La tension dépeinte entre les représentations collectives du corps féminin d'une part et la réalité du corps vécu de l'autre donne la place à un discours critique sur la force et la violence des normes du corps à l'égard du sujet femme, représentées dans les discours de vérité ou dans les pratiques de redressement du corps : discours parental et masculin, mais aussi représentation dans les magazines ou dans la littérature dans Clèves, et discours d'autorité – toujours masculin – et viols, interventions du corps médical et institutionnel dans Truismes.

Suzanne Le Men, Université Paris 8

« Solange est une fille adolescente qui lutte contre toutes les insécurités de son âge en découvrant sa propre sexualité. (...) Le doux Monsieur Bihotz est son gardien solitaire et semble être amoureux d’elle en secret. Une nuit Solange le séduit, et ils commencent une affaire illicite qui la satisfait exclusivement en termes sexuels mais qui semble augmenter l’amour de Monsieur Bihotz. (...) Mais Solange dit nonchalamment qu’elle « a tellement d’autres choses à penser... »

Adelita Barrett, étudiante à l'University of Arizona 

2011 |

Clèves

"A powerful, hilarious and achingly honest story about a young French girl discovering her sexuality. Solange wants to have sex. Will it be with one of the boys at school? The exchange student? The fireman she meets at the disco when she sneaks out one night? Or with Arnaud, the coolest boy she knows?  She’d like to see more of her father, even though he’s so embarrassing. As for her mother, she’s too depressed. Something to do with the photo of the dead boy on the mantelpiece. Monsieur Bihotz, her neighbour who lives alone now his mother has died, is supposed to be her babysitter but Solange has other ideas. There’s really not much scope in her boring village, Clèves.  But who cares, Solange will get to do it, go all the way, whatever it takes.  Marie Darrieussecq’s All the Way is a brilliant and hilarious picture of an adolescent girl."

TextPublishing

‘Darrieussecq dissects with anatomical precision the climate of small-town France in the 1980s, with its strange mix of sexual openness and the continued prevalence of a particularly French brand of chauvinism and racism, all coloured by the disappointment of a generation that came of age in 1968, the promised revolution having faded almost completely, leaving nothing more noble than a petit bourgeois sensibility.’

Times Literary Supplement

« In her refusal to make female adolescence “literary” by hiding or glossing over the ugliest, most embarrassing, or most unseemly parts of Solange’s experience, Darrieussecq makes an important literary contribution. She takes seriously the exhortation of Nathalie Sarraute, “un peu [sa] grand-mère spirituelle” (Lambeth 809) ‘sort of her spiritual grandmother,’ to explore new terrain, a conviction that Sarraute expressed in L’Ère du soupçon (The Age of Suspicion) by quoting Flaubert in order to articulate the novelist’s “obligation la plus profonde: découvrir de la nouveauté, et . . . son crime le plus grave : répéter les découvertes de ses prédécesseurs”(Sarraute 79) ‘most profound obligation: discover something new, and . . . his gravest crime: repeat his predecessors’ discoveries.’Darrieussecq certainly does not repeat the discoveries of her predecessors, but because of the novel’s crudeness, Darrieussecq’s literary innovation got lost in the controversy this novel stirred up over whether it was a good book—literary, with redeeming aesthetic qualities—or whether it was gratuitously obscene, disgusting, pornographic, and self-indulgent. »

Annabel L. Kim, Duke University

« Solange is an adolescent girl struggling with all the insecurities of adolescence while discovering her sexuality. As her peers engage in sexual relationships – be they rumored or real – Solange wishes to have sexual experiences of her own. First she explores masturbation, and she eventually has sexual encounters with men and a girl her age. Her initial encounters are mostly crude and impersonal, but they leave Solange exhilarated and desiring more, as she extracts a sense of self-worth and social status out of being “experienced.” She develops a relationship with a boy named Arnaud, a cynical and self-centered music fan that Solange believes understands and loves her underneath his tortured exterior. Although he is visibly rude to her and mostly manipulates her infatuation with him for sex, she is blind to this and actually builds unfounded romantic fantasies upon their rare and brief meetings. Meanwhile, Solange’s distant mother and absent father seem to be replaced by the gentle Mister Bihotz, her lonely caretaker, who seems to be secretly in love with her. One night Solange seduces him, and they begin an illicit affair that satisfies her only sexually but that seems to deepen Mister Bihotz’s love. She is eventually irritated by Mister Bihotz’s tenderness towards her while she is still infatuated with Arnaud. When Solange ends her relationship with Mister Bihotz after Arnaud promises to take her with him to Bordeaux (a promise that was predictably unfulfilled), Mister Bihotz drinks weed killer in an attempt to poison himself. Solange seems unconcerned and closes the novel by nonchalantly saying that she “has so many other things to think about. »

Adelita Barrett, University of Arizona

Traductions

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Allemagne
Patricia Klobusiczky
Hanser Verlag poche
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Allemagne
Patricia Klobusiczky
Hanser Verlag
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Australie
Penny Hueston
Text Publishing
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Corée
Open Books
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Danemark
Mette Olesen
Tiderne Skifter
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Espagne
Lil Sclavo
Cuenco de plata
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Pays Bas
Mirjam de Veth
Meulenhoff
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Suède
Lisa Linberg
Norstedts (poche)
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Suède
Lisa Linberg
Norstedts
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Grande Bretagne
Penny Hueston
Text Publishing

Adaptations

10 juin 2022 |
PAR Rodolphe Tissot

Adaptations

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www.mariedarrieussecq.com

Coupures

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Presse

août 2011 | Le Magazine Littéraire

« Avec Clèves, Marie Darrieussecq raconte sans détours l'expérience de la puberté d'une jeune fille.

Immensité polaire et désolée de White , errances spirituelles de Bref séjour chez les vivants, spectres rémanents de Naissance des fantômes ou de Tom est mort et, même, dénuement de l'exil ovidien dans Tristes Pontiques ; voilà plusieurs années que l'imaginaire de Marie Darrieussecq ondule autour d'absences, d'auras, de vides. Mais avec Clèves sa plume acérée remord aux plis palpables et chauds de la chair, ces replis tantôt roses, fermes, appétissants, tantôt poisseux, moites et fétides, qui obstruaient déjà chaque page de Truismes, en 1996.

C'est encore l'histoire d'une métamorphose : non celle d'une femme en truie, mais celle d'une petite fille en femme, Solange, au fil de ces années cruciales et délicates qui courent de la prépuberté au passage du bac. Premières règles, premier baiser, première fois ; ces mains dont on ne sait plus que faire et cette intarissable voix qui résonne dans la tête : « Est-il possible que les femmes aient ça et que tout le monde fasse comme si de rien n'était ? » ; « Est-ce que ça se voit quand on l'a fait ? » ; « Il doit la trouver bête » ; « Il faudrait qu'elle dise quelque chose » ; « Est-ce que les gens la regardent ? »

Solange, petite souillon doublée d'un ange, déjà avide et encore innocente, toujours pucelle et pourtant.… Une « petite bouée dans le déluge », ballottée entre un père extraverti, une mère insomniaque et cet étrange voisin qui prend tellement à cœur son rôle de nourrice. A priori, ce Clèves-là – le nom du village où grandit la fillette – n'a pas grand-chose à voir avec celui de la princesse. Sauf s'il s'agit d'une princesse inversée : la crudité des mots en place des bienséances et la lascivité en place du renoncement… Un tel titre, bien sûr, ne doit rien au hasard ; a fortiori chez Darrieussecq, qui accorde tant de soin aux « seuils » de ses romans : même confusion des sentiments, même obsession du regard, même règne du faux-semblant que chez Mme de La Fayette. Même finesse dans l'analyse, surtout, à commencer par cette façon dont la romancière intériorise l'écoulement du temps. Et elle délivre ici la parfaite mesure du temps adolescent. Ce temps segmenté de l'urgence, égrené par étapes, comme un compte à rebours – « ça y est, ça va arriver […] elle va sortir avec un garçon » ; « ça se passe en ce moment même. Elle est en train de faire ça »… –, et capricieux aussi : dilaté à l'excès dans l'attente d'un coup de fil et « compact, gorgé, exaspéré » dans l'emballement du désir.

Car le voyage intérieur ne se limite pas aux seuls soubresauts de la pensée. Rarement le style de « défricheuse » de Marie Darrieussecq aura trouvé meilleur terrain d'auscultation que ce corps en éveil, cette chair palpitante, frôlée, frottée ou malmenée, explorée du dehors et du dedans par chacun de ses pores et orifices. Ce sont ici les frémissements mêmes de la peau, les afflux du sang et du sperme, qui impriment au roman son rythme pulsatile. Dans le lacis des très courts paragraphes, des impressions s'imbriquent en un millefeuille d'images fugaces et de phrases obsédantes. Il y a des réminiscences de prières, des refrains de chansons, des définitions du Nouveau Larousse – pénis, vulve, orgasme… –, et des bribes de dialogues, de romans ou d'histoires salaces, des racontars et des dictons. Qu'il ne faut pas « se baigner quand on les a », qu'il faut « le faire vraiment pour que les seins poussent », « qu'un homme peut violemment posséder une femme »… Autant d'appendices de langage, appris par cœur ou pris au vol, que Solange tourne et retourne, frictionne en tous sens comme pour voir ce que ça fait ; ce que la langue dit de l'expérience, et vice versa. Et l'on reconnaît bien ici la signature de Darrieussecq, qui avouait dans les premières pages du Bébé une forme d'amitié pour les lieux communs, ces « pierres » que l'on soulève « pour voir, par-dessous », capables d'énoncer, « malgré l'usure », une part de réalité.

« Dire le non-dit : l'écriture est ce projet », affirmait alors la romancière. Et parce qu'il fait voler en éclats les tabous, l'afféterie et les raccourcis, c'est bien vers ce projet que tend son roman Clèves.

 

Camille Thomine

août 2011 | Lire

« En relatant l'éveil à la sexualité d'une gamine des années 1980, Marie Darrieussecq en a-t-elle trop fait ?

La réalité sans tabous

Frontale, Marie Darrieussecq ne ménage personne. Ce n'est ni son genre, ni son ambition. Elle écrit les mots que les filles dissimulent dans les recoins de leur mémoire, ces « gros mots » qui peuvent faire mal et qu'elles supportent honteusement : règles abondantes, gros seins, bite, pucelle, vulve, orgasme... Son héroïne, Solange, a treize-quatorze ans, un vocabulaire trop vaste pour elle, une peur panique de ne pas être assez adulte pour les autres, les garçons et les hommes qui la regardent comme une proie. Alors, Solange se dépêche de « faire la chose » pour s'en débarrasser et reste une fillette qui mélange tout : l'amour et faire l'amour en particulier.

Clèves est un roman cruel d'une tristesse poignante sur l'absence d'illusion d'une génération née avec le porno de Canal +. Le père est absent, la mère n'a pas le temps. Restent la télévision en clair et les conversations de copines où il ne faut pas avoir l'air coincé pour rester dans la bande. Clèves parle de l'éducation faite sur le tas, sans recul ni principes. Solange finira bien par grandir dans son village de 2 500 habitants, rêvant toujours de partir avec un surfeur aux lèvres craquelées. Elle ne lira jamais Madame Bovary, pourtant elle ressemble à l'héroïne de Flaubert : une petite Emma qui voudrait tellement connaître la passion et mime les gestes les plus crus, histoire de se faire remarquer.

 

Christine Ferniot

août 2011 | L'Express

« Marie Darrieussecq, nymphette de Clèves

L'apprentissage sexuel d'adolescents des années 1980. Marie Darrieussecq joue la provoc avec ce récit cru. Et détone.

Quand la princesse s'appelle Solange, que le bal se transforme en kermesse, les carrosses en Alpine Renault et les jeunes filles en sauteuses patentées, l'on comprend que Marie Darrieussecq, grande admiratrice de La Princesse de Clèves (elle en a préfacé une édition pour GF), joue l'énorme contre-pied. Guère de préciosité dans ce Clèves ni de délicats sentiments amoureux, mais du cru, du « couillu », voire du glauque. Aucun doute, l'auteur de Truismes (1996) aime la provoc. Et avouons-le tout net : cet éveil à la sexualité d'adolescents du Pays basque intérieur au début des années 1980 nous ravit.

Le découpage en trois parties du roman, « Les avoir » (les règles), « Le faire » (l'amour), « Le refaire » (toujours l'amour, quoique l'expression semble peu appropriée), donne le ton. Dès leurs 10 ans, Solange, Rose, Peggy, Nathalie, Raphaël, Christian, etc. ne pensent qu'à ça. D'été en été, les voilà en plein apprentissage. Menstruation, masturbation, accouplement, enculade, Darrieussecq ne se paie pas de mots. Une bite est une bite, comme dirait le père de Solange, faux pilote d'Air Inter et vrai coureur de jupons. Malgré le gardiennage de M. Bihotz, une « nounou » pas comme les autres, Solange ne perd pas de temps. Premier baiser mouillé avec un pompier au Milord, « la » boîte de nuit de Clèves, première pipe à Arnaud (un passage d'antho-logie) lors d'une boum au château, et le reste à l'avenant…

Certains n'apprécieront guère la crudité du vocabulaire de Mme Darrieussecq, mais il leur sera difficile de ne pas saluer la justesse d'analyse de la romancière de Bassussarry. Rarement les rêves, les émois et les mœurs d'une bande de jeunes Français moyens auront été aussi finement dépeints. L'éclectisme de l'ancienne élève de la Rue d'Ulm, sautillant d'Ovide et de Mme de La Fayette aux nymphettes d'aujourd'hui, ne cessera jamais de nous étonner.

 

Marianne Payot

septembre 2011 | Les Inrockuptibles

Plus dévergondée que la princesse de Clèves, moins garce que Lolita : Marie Darrieussecq dresse le stupéfiant portrait d'une jeune fille saisie en pleine révolution intime et sexuelle à l'aube des années 1980.

Dans la vie d'une femme, par où arrive la sexualité ? Avec la stupeur des premières menstruations ? les caresses prodiguées à son propre corps ? la première étreinte sexuelle, brutale et maladroite, avec un garçon (ou une fille) ? Mais d'abord, c'est quoi le sexe ? Rien qu'une histoire de limite et de transgression, d'exploration têtue et de désir aveugle.

Pour Solange, 10 ans et toutes ses dents, c'est la grande aventure. Et nous y voilà : la belle trouvaille de Marie Darrieussecq serait d'avoir signé avec Clèves, son onzième roman, un peu plus qu'un simple portrait de jeune fille. Un roman d'apprentissage, oui ; une chronique adolescente, d'accord ; mais encore ? Une épopée de la puberté, singulière, renversante.

Ce jardin des métamorphoses se situe à Clèves, bourgade peu alléchante de bord de mer (ou presque). Aperçu : « Ici, c'est Clèves, concours de pêche, nouveaux carrefours giratoires, noces de diamant et foire aux bestiaux. » Ne pas omettre aussi sa kermesse, son lac, ses nombreux magasins de souvenirs. C'est donc là que Solange, cœur ouvert aux quatre vents, aborde l'été de ses 10 ans. L'enjeu est simple : se forger une connaissance de son propre corps, visiblement en éruption, guetter celui des garçons et spécialement leurs « bites ». Facultatif : apprendre à embrasser avec la langue.

Des mots malaxés

Comment advient le savoir ? Par les rituels, bien sûr (le sang impressionnant des règles sur la « fente dégoûtante » ; le pelotage forcé des garçons ; une scène, des scènes, où Solange se masturbe) et une transformation du corps pas jolie-jolie, résolument du côté de la souillure, du poids, du handicap – dont Darrieussecq a déjà extrapolé une forme métamorphique avec Truismes. L'âge ingrat, en somme, au pied de la lettre. Mais aussi, et déjà, par les mots. Une autre chair, tout aussi comestible au regard, par laquelle « une chatte » prend tout son sens, se réalise. « Sexe », « baiser », « reproduction », « pédé », « pute », « accouplement », « pénis », « enculé »… Pas de signifié sans signifiant, pas de réalité sans sa représentation.

D'abord le Nouveau Larousse universel fait le job puis, à mesure que Solange grandit, les mots des autres prennent le relais. Babillages interminables, croyances populaires, on-dit – « Il paraît que Delphine est une nymphe » ; « Bisexuel c'est deux filles à la fois » ; « Il paraît que si on fait le signe de croix à l'envers, on va en Enfer », etc. Drôle de pâte que Darrieussecq malaxe entre les lignes, là où parfois les mots manquent, ont manqué. Question de thèmes – la sexualité enfantine, la masturbation féminine – et de territoires peu explorés, par loyauté, longtemps, envers une certaine conception puriste de la (très) jeune fille (à cet égard, le titre est un formidable pied de nez à la princesse, obsédée par l'abstinence comme idéal – la romancière a redit son attachement au livre de Mme de La Fayette suite aux propos de Sarkozy en 2007).

Ce n'est d'ailleurs pas le seul tabou de la littérature que l'auteur de Tom est mort et de Rapport de police fait voler en éclats. Le mot n'est jamais posé, pourtant il est là, à la fois menaçant et pathétique : pédophilie. Sous les traits d'un voisin, sorte de "nounou" tatoué qui babysitte Solange depuis toujours.

Monsieur Bihotz n'a rien d'un méchant, il est sans machiavélisme, à mille lieues d'un Humbert Humbert. Plutôt un Big Lebowski qui a la larme facile, au pénis aussi inoffensif qu'un coucou sortant de sa pendule toutes les heures. Darrieussecq met les deux pieds dans une polémique (on se souvient de celle autour de Rose bonbon, sur les confessions d'un pédophile), sans possiblement la relancer : plutôt en la dévoyant, en y injectant une humanité irrésistible, si vaincue qu'elle en est touchante.

Un roman de classes

Cette forme de dégénérescence, on la retrouve ailleurs, généralisée peut-être à toute une classe sociale à l'aube des années 1980 (guerre d'Afghanistan, Billie Jean). Nul doute que Clèves est aussi un roman de classes, pointant les dangers de l'acculturation et d'une forme très affirmée de l'ignorance. Pour Solange, l'angoisse tient aussi aux crises exhibitionnistes d'un père stewart, au cafard permanent d'une mère vendeuse dans un magasin de souvenirs, à leur divorce imminent, programmé.

13 ans, 15 ans. Les mots changent : « doigter », « mouiller », « cool ». Désormais, la question est « Est-ce que tu veux sortir avec moi ? ». Encore plus trash : « Par quel trou ? » La seule certitude, c'est que « l'école entière est possédée par le sexe ». Solange fait la rencontre d'Arnaud, qui l'initie à Sartre, au shit et à la fellation, révélant chez elle la monstresse sexuelle – celle qui veut bientôt tout engloutir et tout absorber, apaiser une brûlure, assouvir son appétit d'affamée.

 

Emily Barnett

septembre 2011 | Libération

« La jeune fille et le sexe des magazines

Clèves, comme la princesse. C'est le titre du roman de Marie Darrieussecq, du nom du village imaginaire dans lequel elle situe l'action. Ou plutôt trois actions comme autant de parties du livre : les avoir, le faire, le refaire. Les règles, l'amour, l'amour encore. Quinze ans après Truismes, elle revient avec Solange, une adolescente, sur la métamorphose d'un corps, dans un rapport étroit aux mots à disposition pour penser et vivre ces changements. Toujours préoccupé par l'étrange et pourtant bizarrement familier, ce texte subtil s'avère l'un de ses plus personnels et universels à la fois, un roman particulièrement touchant sans la moindre mièvrerie.

 

Sylvain Bourmeau

août 2011 | Madame Figaro

En termes crus et denses, c'est un périple très sensible au pays des désirs et des doutes.

août 2011 | Grazia

" Drôle, inspiré, radical, Clèves, le nouveau roman de Marie Darrieussecq égratigne le mythe d'une adolescence sentimentale et futile, notre coup de cœur de la rentrée. "

Emily Barnett

septembre 2011 | Elle

« Marie Darrieussecq, Princesse au petit moi

En exhumant ses confessions de teenager, la romancière a redécouvert les émois et les obsessions de ses 17 ans. Elle en a composé un beau roman féministe et cru, Clèves.

Quinze ans après Truismes, qui explorait les métamorphoses d'une jeune narratrice, Marie Darrieussecq chahute de nouveau la rentrée littéraire avec Clèves et renoue avec le monde adolescent. En prise directe avec les pensées de Solange – ange solitaire et solaire –, elle nous offre son roman le plus féministe, qui frappe par sa justesse sans filtre et pose les questions récurrentes du consentement féminin.

 

Anne Diatkine

septembre/octobre 2011 | Tageblatt

« L'initiation amoureuse. Marie Darrieussecq : la confusion des sentiments

L’adolescence en sa saison se caractérise par l’impatience et l’urgence, pourtant encombrée des scories de l’enfance et engluée dans les balbutiements de l’adulte à venir. Expérimentale, enthousiasmante et décevante, pudique et provocatrice, elle témoigne de la confusion des sentiments autant que des errements du désir. C’est la saison par excellence des grands bouleversements et de tous les possibles. Il faut la subtilité de Marie Darrieussecq, son léger ton flaubertien de l’ironie, pour en sonder dans le beau roman Clèves les arcanes et en déployer les ressorts.

 

Jean Sorrente,

6 octobre 2011 | Le Nouvel Observateur

« La p… de Clèves

[…] Au fond, on aurait tort de lire Clèves comme un vulgaire remake du chef-d’œuvre de Mme de La Fayette. C’est aussi le récit soigneusement millimétré d’une relation inappropriée, comme disent désormais les amateurs d’anglicismes pudiques, qui permet à son auteur d’aborder finement la question de la pédophilie. Avec son style crû et lapidaire, qui donne la place du roi au mot «bite» pour coller au plus près des sensations d’une jeune fille en fleur des années 1980, c’est la réécriture hyperéaliste, presque austère et émouvante, du premier livre de Marie Darrieussecq. Elle y racontait déjà la métamorphose, celle d’une femme en truie.

 

Grégoire Leménager

21 octobre 2011. | Le Monde

« Une vraie jeune fille

Drôle de patronage. En exergue de Clèves, Marie Darrieussecq a inscrit une citation de Rainer Maria Rilke (1875-1926) : « Est-il possible que l'on ne sache rien de toutes les jeunes filles qui vivent cependant ? » Sous l'égide du poète allemand, la romancière française se donne pour mission de raconter l'expérience des adolescentes. C'est-à-dire – l'auteur des Lettres à un jeune poète avait-il cela en tête ? –, de rendre compte de la puberté au féminin, avec son surgissement inopiné de poils, de sang, de seins et son bouillonnement hormonal.

En écho surprenant à Rilke, son héroïne s'interroge au moment où surviennent ses règles :« Est-il possible que toutes les femmes aient ça et que tout le monde fasse comme si de rien n'était ? »

Ce personnage s'appelle Solange et vit dans le village de Clèves. On la rencontre à la fin du CM1, quand, un soir de kermesse, elle découvre la honte en voyant son père, saoul, s'exhiber nu en pleine rue. Le mot « bite » se met à bourdonner autour d'elle, il rebondit des murs de l'école au sable de la plage la plus proche. Mais ce qui préoccupe vraiment Solange, ce sont les règles (la première partie s'intitule : « Les avoir »). Une fois franchi ce cap, et tandis que ses parents, trop occupés à se déchirer, la confient à Monsieur Bihotz, baby-sitter tatoué qui s'occupe d'elle depuis la prime enfance, elle peut passer, cinq étés plus tard, à l'étape supérieure (deuxième partie : « Le faire »). Autour de Solange, tout le monde ment sur ce qu'il a expérimenté, tout le monde s'épie. Un soir, Solange reçoit son premier baiser d'un pompier qui enterre sa vie de garçon en boîte de nuit. Après, il y aura Arnaud, un garçon égoïste et brutal, mais aux yeux de Solange, « un homme, un vrai » – un bachelier, pensez.

À la suite de cette initiation sans douceur, son obsession sera de « le refaire » (troisième partie) ; il s'avère que le partenaire idéal, en attendant qu'Arnaud daigne téléphoner, soit Monsieur Bihotz, la nounou, transformé par une Solange tentatrice en professeur de désir bourré de culpabilité.

Clèves aborde ainsi le sujet de la pédophilie sur un mode peu orthodoxe, en se demandant sans dramatiser si une éducation sexuelle ne se fait pas mieux avec un adulte attentif qu'avec un adolescent indifférent, mais cet aspect du livre n'a pas provoqué de scandale. Pas plus que n'ont outré les clins d'oeil à la patrimoniale Princesse de Clèves, dont le roman de Darrieussecq se veut, dit son auteur, « une réécriture à l'envers ». En revanche, il a déclenché chez des critiques et des lecteurs des réactions violentes de rejet en raison de sa crudité. L'écrivain se glisse dans la peau de Solange et lui emprunte ses mots, qui sont ceux de son âge, son époque (le début des années 1980) et de sa classe sociale (moyenne tendance rurale). « Bite » apparaît une soixantaine de fois, « chatte » le suit de près, il est beaucoup question de « mouiller » et de « doigter » entre deux évocations des mycoses. Provocation gratuite, adolescente, de la part d'une romancière quadragénaire ? Ou expédition audacieuse sur le continent noir de la sexualité à l'âge ingrat ?

Le sujet de Marie Darrieussecq depuis Truismes (P.O.L, 1996) est toujours le même : il s'agit d'examiner ce que le langage dit de l'expérience, la manière dont les mots, et notamment les lieux communs, énoncent la réalité et, en retour, la façonnent. Solange, comme ceux qui l'entourent, manque de mots, elle n'en connaît que deux pour désigner les organes sexuels, alors elle les utilise, les répète à l'envi comme pour les apprivoiser, même après être allée regarder dans le dictionnaire le sens des mots « pénis » et « verge ». Elle avance à tâtons dans le flou des termes, se débat comme elle peut avec les bribes de vocabulaire glanées au hasard, et tente de saisir ce qu'ils renvoient de son vécu. Ainsi, après la scène pas franchement romantique avec le pompier, Solange hésite entre deux discours, l'un relevant du roman-photo, l'autre, du bréviaire macho : « Un peu de cet événement inouï se dépose dans ces trois mots, mon premier baiser, mon premier baiser. “Rêvant à lui, un trouble délicieux l'envahit.” Est-ce que c'est ça ? « Elle mouillait comme une chienne », une autre phrase, entendue dans la bouche d'un homme dans une kermesse ou une fête ou un bar » […]. »

Clèves dit l'invraisemblable encombrement du corps à l'adolescence, qui occupe d'autant plus de place dans le cerveau que tout le monde « fait comme si de rien n'était » et que les adultes ne livrent pas les mots qui permettraient de se dépêtrer de ce fatras de sensations nouvelles. Reste à savoir si Marie Darrieussecq se tire bien de son sujet extraordinairement périlleux ; si, voulant dire ce que les jeunes filles vivent avec ce roman cru et cruel (drôle, aussi), elle ne verse pas dans le trivial, l'obscène et l'inapproprié, dans le pas grand-chose raconté en se gorgeant de gros mots pour sur-souligner sa hardiesse.

Le corps et la sexualité envisagés comme le fait Solange par le petit bout de la lorgnette ont-ils leur place dans les rayons « littérature » des librairies ? Il n'est pas impossible que Marie Darrieussecq choque aussi parce qu'elle est une femme, écrivant sur les émois et les déboires d'une jeune fille avec un culot stupéfiant.

 

Raphaëlle Leyris

21 octobre 2011 | Le Monde

« Nous avons été cette gamine

Ça fait une bonne dizaine d'années que ça se met en place : au pays des critiques, on n'est jamais assez prude, assez défiant de tout ce qui pourrait se jouer sous la ceinture – cette zone réputée infâme et dénuée d'intérêt. Ainsi la question « Darrieussecq verserait-elle dans le trash en publiant Clèves ? » peut aujourd'hui se poser, sans qu'on se couvre de ridicule.

Le trash serait devenu le terme adéquat pour désigner le désir féminin, dès lors que ce désir passe par un corps. À l'extrême limite, la brigade du bon goût littéraire tolère encore les bites qui peinent à jouir et sentent le pipi de vieux, Philippe Roth passe encore, on sent que c'est tout juste, sans trop déranger les estomacs délicats de la critique hexagonale. Mais la petite chatte affolée de la Solange de Clèves : un digne silence accueille son explosion hormonale. Trop de fluides, sans doute.

Un remonteur de moments

Pourtant, n'importe quel romancier un peu concentré – et que ne dégoûteraient pas irrémédiablement les femmes – consacrera quelques pages aux premières règles de son personnage, s'il entend dresser le portrait d'une petite lubrique déterminée à en découdre avec le sexe opposé.

N'importe laquelle d'entre nous se souvient du premier jour où elle a saigné. Ne serait-ce qu'à cause de la réaction des adultes, c'est un jour important. De la même façon, on voit mal comment l'auteure s'y prendrait pour décrire l'éveil érotique d'une adolescente, sans mentionner ici et là qu'elle mouille. Les filles trempent leur culotte quand elles ont envie de sexe – comment Darrieussecq ferait l'économie d'un peu de cyprine le long des lignes ?

Clèves fonctionne comme un remonteur de moments, ni oubliés, ni occultés, mais jamais consultés, jamais célébrés. Clèves restitue l'état d'adolescence avec le plus grand sérieux, sans jamais se foutre de son personnage. On ne rigole pas de Solange, on rigole avec elle. Comme on rigole en gigotant du haut du plus haut des plongeoirs : en sachant qu'on va y aller.

La défloraison : un pauvre coup foireux, tiré avec un imbécile. L'événement d'une vie, le grand bouleversement, c'est Bovary qu'on sodomise – et ça nous rappelle quelque chose. D'une façon ou d'une autre, sur une période plus ou moins longue, nous avons été cette gamine obsédée. Le monde de Solange est une vaste et formidable forêt de bites, avec des hommes flous, autour. Animaux peu farouches, que Solange s'arrange bien pour apprivoiser.

Clèves a peut-être un tort, qui fait que le roman colle mal à son époque : le sexe y est jubilatoire. La Lolita chaudasse n'est jamais punie de son appétit démesuré, aucune trace de culpabilité dans sa chevauchée sauvage. Les temps changent, mais j'espère, au pays des lecteurs, ne pas être la dernière à trouver ce programme plus réjouissant qu'un autre.

 

Virginie Despentes

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