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Marie Darrieussecq

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2010 |

Rapport de Police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction

Accusée à deux reprises – une première fois de "singerie" par Marie NDiaye en 1998 – et plus récemment de "plagiat psychique" par Camille Laurens, Marie Darrieussecq a voulu comprendre ce qui lui était arrivé et, bien sûr, se défendre. Elle s'est donc penchée sur la notion de plagiat, sur l'histoire de ce concept à travers la littérature. Elle s'est aperçue que nombre d'écrivains, et pas des moindres, ont eu à subir cette accusation. Et s'il ne s'agit pas de banaliser par le nombre – tous plagiaires – il s'agit de se demander comment on en arrive là. À quoi sert-elle, cette accusation de plagiat ? Comment « prend-elle », pourquoi trouve-t-elle toujours tant d'échos ? Qu'est-ce que cela veut dire, d'un état de la critique et des institutions littéraires, d'un état de la société puisque la littérature fait symptôme ?

Que l'accusation de plagiat soit une tentative d'assassinat symbolique, c'est une évidence. Concurrence entre écrivains, conflits de personnes et autres trivialités psychologiques, certes. Mais l'intérêt de cette ample étude est aussi de démontrer qu'elle participe d'un dispositif plus vaste : un empêchement général, une chape de plomb faite d'interdits, de sacralité et d'anathèmes. Une surveillance de la fiction, qui vaut pour toute écriture non appropriée, et dont est retracée ici la longue histoire, de Platon au goulag.

Editions POL

« Quel point commun peut-il bien y avoir entre J.K. Rowling (l’immortelle créatrice d’Harry Potter), un journaliste du New York Times, le couturier Christian Audigier, le film Avatar, l’armée américaine, Yannick Haenel, Helene Hegemann (l’écrivain de 17 ans aujourd’hui en tête des ventes en Allemagne), les Black Eyed Peas, la dernière émission télévisée de l’actuel président de la République française et l’iPad d’Apple ? Réponse : tous ont été la cible, en ce début 2010, d’une accusation de plagiat. Pour peu qu’on y prête attention, le plagiat est partout, et il suffit de s’y intéresser tant soit peu pour, soudain, le retrouver à tous les coins de rue. Ainsi a-t-il suffi que je prévoie de donner au second semestre de cette année un cours sur la notion de plagiat en littérature et ailleurs pour que, comme par hasard, l’essai de Marie Darrieussecq paraisse en librairie au mois de janvier, me donnant ainsi du grain à moudre, comme si je n’en avais pas déjà trop. (...) 

Florian Pennanech , Acta Fabula

"Comme il est impossible, selon Camille Laurens, de raconter la mort d'un enfant sans l'avoir vécue, sans avoir véritablement éprouvé l'immense douleur qu'elle implique, Marie Darrieussecq ne peut qu'avoir volé - en l'occurrence dans le récit autobiographique de Camille Laurens - une douleur qu'elle se serait empressée de recycler dans son commerce romanesque. L'accusation laisse incrédule, elle ne tient pas la route. L'éditeur a d'ailleurs réagi en virant Camille Laurens de son écurie. Mais celle-ci n'est pas folle pour autant, j'en veux pour preuve qu'elle passe avec armes et bagages chez Gallimard (...) On ne l'a pas enfermée, on n'a pas cessé de la publier et de la lire, elle n'a pas été mise au ban de la profession pour avoir proféré une chose aussi énorme. En d'autres termes, elle a beau avoir été, aux yeux de certains, complètement à côté de la plaque, son reproche n'en est pas moins dans l'air du temps, il est le symptôme d'une inflexion de la pratique littéraire non seulement vers des techniques autobiographiques mais aussi vers des valeurs d'authenticité qui, si on les prenait vraiment au sérieux, finiraient par nous interdire la pratique de la fiction et, pourquoi pas, le recours à l'imagination."

Vincent Kauffmann

"Je suis sûre que Marie Darrieussecq est foncièrement malhonnête."

Marie Ndiaye

2010 |

Rapport de Police

« In Rapport de Police, Marie Darrieussecq addresses the accusations of plagiarism levied against her by authors Marie NDiaye and Camille Laurens. To write this essay, Darrieussecq conducted much research on numerous authors’ experiences with accusations of plagiarism, “from Cervantes to Melville, passing by the Nobel winners Pablo Neruda or Camillo Jose Cela… they are numerous, those who have born this infamous accusation.” Darrieussecq’s dissatisfaction with the lack of body of literature treating the subject of plagiarism influenced her decision to write a collection of short historical narratives that highlights various relationships between the author and his or her work. In chapter one, “L’Embarras de Freud,” Darrieussecq recounts the accusations of plagiarism among Sigmund Freud and his colleagues. Multiple themes come up in this chapter that run the course of the essay: the student’s difficulty in separating his own opinions from those of his teacher and his colleagues; a writer’s megalomania and desire to have claim to an idea; and the question of “ownership” of thoughts: when does a thought begin, and to which person did it appear to first? Darrieussecq’s treatment of Celan in chapter two highlights his re-invention of the beauty of the German language and the pure connection he maintained to his art. Thus, when the widow of an author whose work Celan translated accused him of plagiarism, the accusation pained him so much that he eventually took his own life. Next, Darrieussecq recounts Mandelstam’s national debacle over alleged plagiarism and compares the situation with today’s literary world, wherein authors have the freedom to continue writing even after accusations of plagiarism. Darrieussecq concludes that authors must reconcile with the fact that there is a large and complex network of thinkers that exists outside of themselves, and that these Others produce ideas which, while the writer may have thought of, she cannot prove to own ».

Adelita Barrett, University of Arizona wrote

Traductions

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Japon
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Roumanie

Coupures

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Presse

jeudi 7 janvier 2010 | L'Express

« Marie Darrieussecq riposte avec Rapport de police aux accusations de plagiat émises par Camille Laurens, et répond à nos questions.

L'Express Cet essai, écrivez-vous, a pompé votre énergie, retardé l'écriture de vos romans. Alors, pourquoi tout ce travail ? Un sentiment d'urgence ?
M. D. Il y a un moment où il faut se mettre en colère, par survie. J'ai écrit ce livre pour me soigner thérapeutiquement et pour aider les futurs écrivains incriminés. Le plagiat est un sujet qui ne m'intéresse pas mais j'ai été obligée de me pencher dessus car on m'a accusée deux fois au moins. C'était très douloureux et très salissant. Je me suis alors posée la question : Pourquoi moi ? Est-ce arrivé à d'autres ?
E. Vous décidez donc d'écrire sur le plagiat dès l'automne 2007 ?
M. D. Oui, je suis alors dans un grand état de rage et je me sent très atteinte dans mon honneur d'écrivain. Camille Laurens me reproche d'écrire à la première personne sur un sujet très douloureux que je n'ai pas vécu. À la limite, admettons. Mais comme elle veut m'assassiner symboliquement, elle rajoute le mot « plagiat », elle sait que cela fait très mal et que Marie NDiaye m'a accusée une première fois en 1998 et incrimine notamment une phrase, qui est en fait une phrase prononcée par ma mère : « Je n'en veux pas un autre, je veux lui, le même. » Toutes les mères qui ont perdu un enfant ont dû dire la même chose. Ainsi fonctionne la calomnie : comme le sparadrap du capitaine Haddock, elle ne vous lâche plus.

E. Comment expliquer cette attitude ?
M. D. Le problème, en général, c'est l'autre. Et ce problème est exacerbé dans le champ littéraire en raison des conditions de travail solitaires de l'écrivain et du narcissisme de l'écriture. On veut être le seul écrivain ! Alors l'arme pour se débarrasser de l'autre est ce que j'appelle la « plagiomnie », l'accusation calomnieuse de plagiat. C'est tout bénéfice de s'affirmer plagié : on est un auteur important puisqu'on est digne d'avoir été plagié, et on affirme sa propre authenticité. C'est au passage une façon, très infantile, de séparer la littérature en deux camps, les bons et les méchants. Par ailleurs, on sait combien l'époque est propice au concours de victimes.

E. Le fait d'être publiées par le même éditeur, Paul Otchakovsky Laurens (P.O.L.), a-t-il compliqué la donne ?
M. D. Oui, cela s'insère dans le champs psychanalytique : il s'agit d'être le préféré du père. Ce « complexe fraternel », dont parle souvent Freud, est particulièrement actif dans les petites maisons comme P.O.L. Par ailleurs, je pense payer là ma dette pour le best-seller inattendu que fut Truismes. On peut payer ce genre de succès en cocaïne et en accident de Porsche comme Sagan, on peut aussi le payer en emmerdements. Tout en n'étant pas exempte de drames familiaux, je suis plutôt douée pour le bonheur, cela dérange également. Enfin, mon côté normalienne énerve. Il y a une dimension sacrificielle, au fond. Je suis très désillusionnée, désabusée, car si je trouve légitime qu'on n'aime pas mes livres, je ne supporte pas cette accusation-là.

E. Au point, écrivez-vous, de vous être métamorphosée en laie du Pays basque, d'avoir arrêté de lire les suppléments littéraires, de regarder les blogs...
M. D. Surtout les blogs, en effet, qui me semblent relever d'une France très poujadiste. C'est le royaume de l'opinion non vérifiée, de l'avocat qui se fait juge, de l'accusé dénoncé comme coupable. C'est le lynchage permanent.

E. Mais les plagiaires existent, tout de même ?
M. D. Oui, bien sûr. Mais je pense que ce ne sont pas des écrivains, ce sont des écrivants, comme disait Barthes, des gens qui bricolent, font des copiés-collés ou qui n'écrivent pas eux-mêmes leur livre. Ils n'ont pas d'estime pour leur propre écriture. Etre dans le même sac que ces personnes crapuleuses ou ces cas pathologiques est injurieux.

E. Du côté de la justice, la notion de contre-façon reste très floue.
M. D. Comme le rapporte l'universitaire Sophie Rabau, dans l'affaire Griollet-Vautrin, le juge disait devoir se fondre sur « son impression » qui serait celle « d'un lecteur d'attention moyenne ». C'est une vraie fiction. Que dirait-on d'un juge qui se fonderait sur son impression que la balle tirée vient bien du revolver de l'accusé ? Dans tout le droit pénal, le juge s'appuie sur des spécialistes. En littérature, curieusement, jamais. L'autre critère est la quantité d'emprunts. Mais là aussi, c'est comique. En comparant Les Raisins de la colère de Steinbeck et Une partie de campagne de Maupassant, on peut démontrer qu'ils se sont plagiés tous les deux. De même, il y a une extraordinaire et cocasse, vu le contexte de ressemblance entre le Hilda de Marie NDiaye et le roman Ilda d'Hélène Bessette paru chez Gallimard en 1973. Il est même possible que Marie NDiaye n'ait jamais entendu parler de ce bouquin. Forcément, quand on évoque un même thème, on utilise souvent les mêmes retournements de situations, les mêmes mots. Vu d'un oeil malveillant ou paranoïaque, deux textes se ressemblent toujours. Le problème, c'est que les plaignants amènent le juge à se concentrer sur ce qui se ressemble et pas sur ce qui est dissemblable la partie enfouie de l'iceberg et le style. Qui peut être pastiché, mais qui ne peut ni s'emprunter ni se voler.

E. Au cours de votre enquête, vous vous êtes aperçu que de nombreux romanciers célèbres, comme Mandelstam ou Zola, ont été accusés de plagiat ?
M. D. Oui, finalement, je me trouve très bien accompagnée. Au début de mes recherches, un petit livre, Ce qui alarma Paul Celan, d'Yves Bonnefoy m'a fait du bien. Si lui, le grand poète, avait été accusé de plagiat, cela pouvait tomber sur n'importe qui. Et en effet, je me suis aperçu que nombre de grands littérateurs des XIX et XXe siècles, Mandelstam, Celan, Daphné du Maurier, Zola avaient été attaqués. Le comble de l'absurde !

E. Vous vous sentez très proche du Yougoslave Danilo Kis, que l'on a accusé de « vol spirituel et d'absence de citation » ?
M. D. Il a su relier clairement cette accusation à tout ce qui se tramait de nationalisme, d'identité rance, de repli sur soi, en Serbie, dans les années 1970. Il a perçu le rejet de la pensée moderne et occidentale, et l'omniprésence de mots d'ordre très kitsch, qui ramènent la littérature à des valeurs patrimoniales. Quand j'ai écrit sur les fantômes, dans un pays où, en effet, il n'y avait pas beaucoup de jeunes auteurs adeptes de ce que l'on peut appeler le réalisme fantastique, Marie NDiaye s'est sentie menacée sur un territoire qu'elle considérait comme sa propriété privée. C'est très conservateur, frileux et dangereux. Car comme Camille Laurens, elle reprend à son insu le vocabulaire des dénonciations à la Léon Bloy. À travers le temps et les pays, la phraséologie est toujours la même : le supposé plagiaire est vu comme un vampire, un animal rampant ; le plagié, lui, est un pur. Il y a deux mille ans déjà, Martial le premier à avoir employé le terme « plagiarus » (vol d'enfants) au sens métaphorique (vol de poèmes) utilise le vocabulaire de la cuisine, du ragoût, pour dénoncer l'autre. Ce qui se plagie, au fond, ce sont ces discours nauséabonds de calomnie.

E. Vous identifiez vous aussi à Daphné du Maurier qui a été accusée par deux femmes ?
M. D. En effet. Toutes ces femmes rendent un très mauvais service à la littérature des femmes. Comme disait Daphné du Maurier aux plaignantes lors de son procès aux États-Unis : « Est-ce que ces deux dames pourraient décider entre elles laquelle des deux a écrit mon livre ? » (rires) Cela dit, elle a vraiment été entravée dans son écriture pendant dix ans. Cela a été infernal, elle avoue en avoir pratiquement perdu la boule. Pensez qu'elle a été obligée de montrer tous ses manuscrits, ses brouillons, d'expliquer pourquoi elle n'avait pas rédigé Rebecca dès 1932. C'est « Poètes, vos papiers » Moi aussi, j'ai brandi le certificat doloris, lorsqu'à l'époque du « plagiat psychique », je me suis sentie obligée de dire que mes parents avaient perdu leur fils. Je pense qu'il ne le fallait pas.

E. Certains accusés, rappelez-vous, en viennent à se suicider comme Celan ou Maïakosvki ?
M. D. Dans le cas de Maïakovksi, il s'agit d'un suicide d'épuisement nerveux. Comme il déplaisait à Staline, le KGB a organisé une accusation montée de toutes pièces pour l'abattre et faire monter Gorki. Mandelstam, lui, autre réprouvé, a réagi par l'attaque frontale. Dans un premier temps, d'ailleurs, sa femme pense qu'il gonfle démesurément son histoire de plagiat. J'ai retrouvé cela à plusieurs reprises : les proches ne comprennent pas à quel point la charge blesse. Un écrivain est fait de mots. Et il est attaqué dans sa chair. Dans les systèmes autoritaires, en outre, il suffit d'attirer l'attention du pouvoir sur un individu présumé pas clair comme Mandelstam, pour que, désormais, il soit marqué. Et , de fait, on ne l'a plus jamais lâché, il a été exilé de plus en plus loin, jusqu'au Goulag.

E. Même Freud, dites-vous, a subi l'opprobre.
M. D. Il a été désigné comme plagiaire à partir de ses démêlés, en 1900, avec son ami Wilhem Fliess, un médecin berlinois qui se sentait floué. Mais Freud était dans une situation particulière. Je pense que, pour le coup, beaucoup de gens un peu fragiles autour de lui se sont sentis dépossédés, et parfois peut-être à juste titre. Ces livres, nés de discussions collectives et d'un grand brassage d'idées, c'est lui qui les signait.

E. « maginer, c'est blasphémer », écrivez-vous. Qu'entendez-vous par là ?
M. D. Là, c'est autre chose que le plagiat. L'idée est qu'il faut faire attention à ne pas être soi-même porteur de censure. Au bout du compte, il y a chez certains le sentiment que puisque la fiction invente, elle ne peut que voler les textes sacrés qui sont les autobiographies. Bref, elle ne serait qu'une pâle copie des textes qui disent le vrai, la vie. Moi, je pense que le roman peut dire la vérité, rendre compte du monde, de façon aussi valide et légitime que l'autobiographie ou l'autofiction. Le problème, c'est qu'on assimile aujourd'hui fiction et mensonge. Or, la fiction est d'ordre esthétique, le mensonge relève de la morale, cela n'a rien à voir.

E. L'anathème sur la fiction est vieux comme le monde, non ?
M. D.En effet, elle date de Platon, qui affirme qu'« Homère n'a pas le droit de parler de la guerre, puisqu'il ne l'a pas faite. » Aristote, lui, dira, il faut donner de la tragédie, de l'épopée, pour justement pouvoir libérer le monde de sa violence. Aujourd'hui encore, Platon et Aristote continuent de s'affronter, comme dans le débat par exemple sur le plagiat psychique. On a besoin de la fiction, d'auteurs comme Yannick Haenel sur les camps, surtout aujourd'hui où les derniers témoins meurent. On ne pourra s'en tenir à une bibliothèque sacrée, c'est notre devoir de trouver des façons de faire vivre cette mémoire.

E. Justement, dans son dernier livre, Romance nerveuse, Camille Laurens fait implicitement allusion à vos écrits en ces mots : « Nous voulons des romans d'amour, pas des romans sur l'amour, des livres de deuil, pas des livres sur le deuil. » Qu'en pensez-vous ?
M. D. Moi je suis délibérément dans la fiction. Tom est mort ne parle de personne, éventuellement de ma mère, et encore, c'est un pas de côté gigantesque. Si j'écris de la fiction, c'est que justement je ne veux pas empiéter sur le silence de mes proches. Autant, j'adorais l'autofiction à la Blaise Cendrars ou à la Hervé Guibert, à qui, comme disait Foucault, « il n' arrive que des choses fausses », autant je ne comprends pas très bien cette espèce d'autobiographie déguisée. Cet usage du mot roman me laisse perplexe. Au fond, Christine Angot est quelqu'un de parfaitement honnête. Elle empiète sur la vie des gens, certes, mais elle écrit sous son nom. C'est très culotté, audacieux. Elle invente quelque chose.

E. Camille Laurens vous reproche de ne pas lui avoir parlé de votre livre ?
<="" b=""> Mais pourquoi lui en aurais-je parlé ? Quelle outrecuidance de s'imaginer au centre de mon roman, de penser que j'ai écrit ce livre en pensant à elle et pas à ma mère ! Je suis très en colère. On ne sera jamais réconciliées, c'est comme ça.

E. Avez-vous lu le dernier roman de Marie NDiaye, Trois femmes puissantes, prix Goncourt 2009 ?
M. D. J'ai cessé de la lire. Cela ne me fait plus aucun plaisir, mon masochisme a des limites. Je pense qu'elle ne lit pas les miens, non plus.

E. « Je suis capable de tout imaginer, même le pire », écrivez-vous. Ce qui signifie ?
M. D. Écrire, c'est un rêve éveillé, ce qui comprend le cauchemar. Effectivement, perdre un enfant, c'est le pire. Du côté de la fable grotesque, se transformer en truie, n'est pas brillant non plus. Perdre l'homme que j'aimais faisait aussi partie de mes terreurs les plus intimes.

E. Vous appréhendez la sortie de votre livre ?
M. D. Oui. Je suis marquée au sceau de la plagiomnie. Alors, tout est possible dans cet univers déraisonnable. Et rien ne m'amuse dans tout cela – c'est la première fois de ma vie que j'ai écrit un livre sans plaisir.

E. Craignez-vous d'être plagiée ?
M. D. Non, le mieux qui puisse arriver à un écrivain c'est d'avoir une postérité. En fait, ma plus grande peur est de m'autoplagier.

 

 

Marianne Payot

7 janvier 2010 | Le Nouvel Observateur

Marie Darrieussecq a été accusée de plagiat par Marie NDiaye et Camille Laurens. Elle leur répond dans un essai littéraire ambitieux.

Février 1998. Marie Darrieussecq publie son deuxième roman, Naissance des fantômes. Elle est déjà célèbre pour s'être rêvée en truie deux ans auparavant. Les journalistes se précipitent sur ce petit bout de Kafka sorti de Normale sup. Huit jours plus tard, ils reçoivent la lettre d'une autre jeune prodige, dont l'oeuvre est plus épaisse et la notoriété plus discrète. C'est Marie NDiaye, qui crie à la « singerie » avec une violence qu'on ne lui connaissait pas.
Septembre 2007. Marie Darrieussecq sort Tom est mort, dans lequel elle imagine la perte de son fils. Camille Laurens y reconnaît Philippe (1995), le livre écrit d'une traite pendant son deuil maternel. Egalement publiée chez POL, elle parle de «plagiat psychique ». Darrieussecq aurait-elle pour les livres qu'elle aime une dévotion de moine copiste ? Sa réponse est un gros essai, Rapport de police. La calomnie « plagiomniaque », nous dit-elle, est un phénomène vieux comme la littérature. Elle en dévoile les sources.

Le Nouvel Observateur Qu'est-ce que la « plagiomnie » ?
Marie Darrieussecq Soyons clair, la contrefaçon existe. Mais ce n'était pas mon sujet. J'appelle « plagiomnie » la dénonciation calomnieuse de plagiat. A l'origine, on trouve un désir fou d'être plagié. C'est tout bénéfice : on s'imagine une reconnaissance qu'on n'a pas forcément, puisqu'on est digne d'être copié. On se pose comme auteur qui compte, comme victime aussi. Et par les temps qui courent, être victime, c'est une assurance de respect, d'attention médiatique. L'exemple le plus marquant est celui de Daphné Du Maurier, l'auteur de Rebecca. Deux femmes, sorties de nulle part, disent chacune qu'elles l'ont écrit. Preuves à l'appui. L'une d'elles, une Américaine, croit que des éditeurs ont subtilisé son manuscrit, l'ont fait sortir en fraude des Etats-Unis... Ca lui semblait plus plausible que d'imaginer Du Maurier en train d'écrire un roman. Du Maurier mettra dix ans à gagner son procès. Dix ans pour rien.

N. O. Peut-on parler de propriété en littérature ?
M. D. C'est très compliqué. La littérature n'est pas un territoire qu'on peut séparer avec des frontières, des piquets et des douaniers qui demandent Propos recueillis par David Caviglioli: «Poètes, vos papiers » Quand on écrit, on est constamment sous influence. Je suis sous celle de Duras, Joyce, Faulkner, Perec. J'écris parce que j'ai lu, non parce que j'ai ressenti des choses dans mes tripes. Je n'aurais pas réussi à penser ma vie si des mots n'étaient pas venus m'éclairer. Je me suis appropriée par le style des mots qui, au départ, n'étaient pas les miens.

N. O. L'étymologie latine de « plagiat » renvoie à l'idée de propriété...
M. Darrieussecq Ca a signifié « voleur d'esclave », puis « voleur d'enfant ». On dit souvent que les Anciens se copiaient les uns les autres, se réinterprétaient sans arrêt. Or l'accusation de plagiat est aussi vieille que cette pratique. Il y avait une tolérance, mais quand on voulait se débarrasser d'un auteur, comme c'est arrivé à Épicure, on utilisait cette arme. La figure du voleur d'enfant, c'est le mal absolu. Le plagiat introduit l'idée de l'écrivain repoussant.

N. O. Que vient faire la justice là-dedans ?
M. D. Hors des cas de contrefaçon, elle éprouve une gêne, avec ces affaires de plagiat. Elle est appelée à remarquer ce qui se ressemble. Or ça marche avec presque tous les livres. J'ai pris Une partie de campagne de Maupassant et Les Raisins de la colère de Steinbeck : les similitudes sont incroyables. Le juge laisse de côté les dissemblances. La jurisprudence est confuse et s'en remet à son impression de lecture. Une universitaire parle de « l'invention du lecteur moyen ». Et ça rejoint la mythologie tripière qui veut qu'on lise avec son estomac plutôt qu'avec son cerveau.

N. O. Et pour vous, cette obsession du plagiat nie la possibilité du roman...
M. D. C'est un phénomène qui remonte à Platon et sa célèbre haine de la fiction si on n'a pas vécu ce qu'on écrit, on l'a forcément copié. Pour certains écrivains, notamment d'autofiction, le roman ne serait qu'un pâle reflet de l'autobiographie, voire un plagiat. Un « pagiat psychique », comme disait Camille Laurens. Ceux-là ne croient pas à l'imagination. C'est la controverse entre Chalamov et Soljénitsyne. Chalamov disait qu'on peut écrire sur le goulag sans y être allé, que c'est même un devoir. Soljénitsyne n'était pas tout à fait d'accord. C'était un débat précurseur ma génération a la lourde charge de prendre la relève des témoins. Ceux de la Shoah sont en train de mourir. Nous sommes dépositaires d'une parole qui ne pourra être qu'imaginée, si on accorde au roman la même gravité qu'au témoignage. Au-delà de ce cas limite, Camille Laurens m'a reproché d'oser faire parler à la première personne une femme qui a perdu son enfant, sans en avoir perdu. Mais au moment où Albert Camus écrit L'étranger il a perdu sa mère. Boulgakov raconte la mort de son frère Kolia alors qu'il est vivant. Pourquoi serait-ce interdit d'écrire ses cauchemar ? Je trouve ça très étrange.

N. O.Comment expliquez-vous cependant ces accusations répétées contre vous ?
M. D. Quand Marie NDiaye m'a accusée en 1998, je sortais du succès de Truismes. Je la connaissais un peu. À la suite de bisbilles personnelles, qui passaient essentiellement par son mari, elle a été prise d'une jalousie féroce. Et quand on veut tuer un écrivain, on l'accuse de plagiat. Il n'y a pas pire. Camille Laurens me reprochait moins de la plagier que d'avoir écrit ce qu'elle pense inimaginable. Mais en ajoutant le mot plagiat, c'est encore plus vendeur. Et très douloureux : dans ce livre, je parle de gens qui se suicident à cause de ce genre d'accusation. Heureusement, j'ai les nerfs solides. Mais on m'a attaquée dans ma chair.

N. O. Le cas de Paul Celan est en effet terrible...
M. D. A l'origine, il y avait son ami Yvan Goll, un poète. Ils travaillaient ensemble, s'échangeaient des idées. Yvan Goll est mort sans jamais se plaindre de rien. C'est sa veuve, Claire, qui a accusé Celan avec obsession, dans les années 1950 et 1960. Ca a mené Celan en clinique, puis au suicide. Il pensait, je le pense aussi, que c'était une attaque antisémite. Pas forcément de la part de Claire Goll, mais de certains journalistes, ainsi que du Groupe 47, formé en Allemagne autour de Gunter Grass. La calomnie est une forme de rejet de l'Autre, comme l'antisémitisme. Tsvetaeva disait : «Tous les poètes sont des juifs ». Dans beaucoup des dénonciations de plagiaires que j'ai étudiées dont celle de Marie NDiaye, la langue employée puise, souvent à l'insu du dénonciateur, dans un vocabulaire d'extrême droite, dans des images liées aux parasites, à la digestion. C'est la langue de Léon Bloy, qui voyait des plagiaires partout.

N. O. En URSS, l'accusation de plagiat était une véritable stratégie totalitaire...
M. D. Le plus beau cas est celui de Maïakovski. Gorki et lui se détestaient. Une haine très banale, mais il était possible alors de se débarrasser physiquement d'un ennemi. Le KGB a monté de toutes pièces une accusation de plagiat contre Maïakovski. On est allé trouver un obscur écrivain pour crier un peu partout que leurs livres se ressemblaient. Maïakovski avait d'autres ennuis sur le dos, il était épuisé. Il s'est suicidé deux ans plus tard. C'est ensuite arrivé à Ossip Mandelstam. Un pauvre mec qui s'appelait Gornsfeld se figurait qu'il avait été dépossédé. Ca a beaucoup plu à la presse parce que Mandelstam commençait à gêner. Sa lente ostracisation a débuté sur le plagiat. On retrouve ici le rejet de l'Autre. La plagiomnie est une pathologie : on veut être le seul écrivain, éliminer les frères et soeurs, être le préféré du père.

N. O. Vous-même, ne vous êtes-vous jamais sentie plagiée ?
M. D. Le Bébé, où je racontais mon expérience de la maternité, il y a eu un effet de mode dans la littérature française. Je ne me suis pas crue plagiée, mais je me suis offusquée que d'autres osent écrire sur le même sujet après moi. Je me souviens en particulier d'Éliette Abécassis qui avait sorti six mois après un très bon livre, Un heureux événement. J'étais prise d'un accès de mégalomanie.

N. O. Ces accusations vous heurtent-elles encore aujourd'hui ?
M. D. Oui. Lors de l'affaire Marie NDiaye, Philippe Sollers m'avait dit : « Faites très attention. C'est une tentative d'assassinat.» Mes accusatrices savaient très bien où frapper. Surtout Marie NDiaye. Camille Laurens, c'est autre chose, il y avait une part de stratégie. J'avais déjà été accusée, c'était facile de revenir sur ce terrain-là. La calomnie a tendance à s'autonourrir. J'ai découvert que la littérature est un pays très peu accueillant.

Propos recueillis par David Caviglioli

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