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-----Message d'origine-----
De : Brice
Envoyé : mardi 1 novembre 2005 10:35
À : pol@pol-editeur.fr
Objet : écriture d'un roman
bonjour (merci de bien vouloir lire ce mail en entier !)
j'aurai besoin de votre aide !
voila mon problême :
j'ai une rédaction à faire en français dont voici la consigne :
"respectueux du travail que représente l'écriture d'un roman, un éditeur écrit longuement à un jeune écrivain afin de lui expliquer pourquoi il ne peut publier son ouvrage
en désacor avec les raisons alléguées, le néophyle lui rrépond en reprenant les arguments de l'éditeur un à un pour mieux les réfuter
Rédiger cette réponce épistolaire qui ne sera exempte d'abileté argumentative, de passion (il croi en sa vocation) et de style"
donc je demande un geste de votre part : est ce que vous pouvais m'envoyer par mail une réponce type négative pour que je puisse avoir les bases de mon devoir ?
Merci d'avance
Brice
Réponse :
Bonjour
Je suis une écrivaine publiée chez POL (le plus connu de mes livres est Truismes) et mon éditeur m'a passé votre message, que j'ai trouvé amusant.
Vous pouvez d'abord expliquer qu'il est très rare qu'un éditeur trouve le temps d'écrire une "longue lettre"... La "lettre-type" de refus, très répandue, dit à peu près : "cher Monsieur, votre manuscrit ne correspond pas à ce que nous recherchons actuellement."
Je me rappelle à peu près de mémoire une lettre que m'avait envoyée Jérome Lindon. J'avais vingt ou vingt-deux ans. J.Lindon était le patron des éditions de Minuit, un très grand monsieur, qui a publié Beckett, Duras, Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute... et dont mon éditeur Paul Otchakovsky-Laurens (initiales POL) prend la relève aujourd'hui, à sa façon. J.Lindon me disait à peu près : "Je vous encourage vivement à continuer, mais le manuscrit que vous m'avez envoyé présente des défauts qui le rendent impubliable. La voix qui le porte n'est pas assez cohérente. A chaque page d'un livre, il faut que le lecteur sache que c'est de ce livre-là qu'il s'agit, et d'aucun autre. C'est ce qu'on appelle le style. Il faut écrire et lire beaucoup, et vous gagnerez en maturité, ce qui rendra votre voix plus forte. Et vos dialogues ne sont pas bien. Vous voulez faire réaliste, mais pourquoi un dialogue serait-il écrit de façon réaliste, si le reste du livre, au contraire, se démarque délibérément du réalisme ? "
J'ai mis dix ans, ensuite, à oser écrire des dialogues. Mais il avait raison.
Il m'a dit aussi "on écrit Finnegan's wake à la fin de sa vie", je ne sais pas si ça vous dira quelque chose, c'est le dernier roman de Joyce. Et il m'a dit aussi : "arrêtez vos études, enfermez-vous, faites vous entretenir par vos parents, ne faites qu'écrire. Les vrais ne font que ça".
Heureusement je n'ai pas tout à fait suivi ce conseil, mes parents n'auraient pas été d'accord, d'ailleurs.... Et Kafka, un "vrai écrivain", était aussi agent d'assurance, parfois il faut gagner sa vie, donc ce n'est pas tout à fait vrai que "les vrais" ne font que ça, ce n'est pas si simple ou si idéaliste.
Bon, je ne sais pas si tout ça vous aide, mais c'est mon expérience personnelle. Vous pouvez toujours recopier ce mail tel quel comme témoignage d'un écrivain, ça vous fera un morceau de votre devoir...
Et surtout répondez-moi pour me dire quelle note vous avez eue !!
Bien à vous
Marie Darrieussecq
2) Sujet de dissertation envoyé par Raphaelle, qui demande de l’aide : “Il reste malséant d’écrire son moi, il suffit pour celui qui veut écrire son autobiographie de la déguiser en roman par le moyen le plus radical : tout simplement écrire roman sur la couverture.“ Commentez cette citation de Marie Darrieussecq.“
“Bonjour
Je ne sais plus où j'ai dit cette phrase, je l'ai sûrement dite, mais je suis surtout navrée de vous causer tant de soucis ! Je vais essayer de vous aider. Mais je suis nulle pour les plans.
"Malséant", ça fait référence à Pascal, qui disait de Montaigne : "la sotte idée qu'il a eue de se peindre". Comme vous savez, Montaigne a écrit trois tomes d "Essais", où il parle de lui, mais pas seulement de lui. En tous cas dans une culture catholique, et chrétienne en général (Pascal était très croyant, il était janséniste) il est mal vu de parler de soi. Aujourd'hui on dirait : "narcissique".
Donc il y a des auteurs aujourd'hui qui n'assument pas d'écrire, tout simplement, leur autobiographie. Alors ils racontent leur vie, mais ils écrivent "roman", sur la couverture, comme pour se cacher.
Mais eux, ce sont les mauvais auteurs, ou les auteurs naïfs. D'ailleurs les éditeurs reçoivent des tonnes de manuscrits de ce genre, impubliables, parce que raconter sa vie ne suffit pas à faire un bon livre, roman ou pas.
Pour faire un livre, il faut un style. Le style, c'est ce qui fait entendre une voix unique dans la phrase, ce qui fait que les phrases de Patrick Modiano ou de Annie Ernaux ne sont les phrases de personne d'autre. Sans style, c'est juste une série de confidences, qui n'intéressent que celui qui les écrit. Le style va vers l'autre, va vers le lecteur, permet au lecteur d'entrer dans le livre et de se dire : ça me concerne, c'est aussi mon histoire, c'est universel.
Les deux que je vous ai cités, Modiano et Ernaux, sont des auteurs contemporains, mais ça marche pour tous les siècles. Rousseau est le premier grand autobiographe, après il y a Chateaubriand, et très vite après eux les limites se brouillent entre roman et autobiographie. "Armance" de Stendhal, c'est un roman, mais c'est sûrement très inspiré de sa vie. "La joie de vivre" de Zola, aussi. Il y a des milliers d'exemple. Mais est-ce si important de savoir que tel roman s'inspire directement de la vie de son auteur ? Se souvient-on de Zola parce qu'il a traversé une crise morale à la quarantaine, ou parce qu'il a écrit ses livres ? Et Stendhal, est-ce plus important de savoir qu'il était impuissant ou de lire "la Chartreuse de Parme" ?
Patrick Modiano écrit toujours "roman" sur ses couvertures, pourtant sa vie n'est jamais loin derrière, sa vraie vie. Mais on s'en fiche. On ne va pas aller vérifier ce qui est vrai ou faux. Les lecteurs ne sont pas des flics.
Aragon disait du roman : "le mentir vrai". On peut aussi appeler ça l'autofiction, c'est un mot à la mode, qui mélange "autobiographie" et fiction, c'est la fiction de soi-même.
Annie Ernaux, elle, elle écrit des autobiographies. Pourtant elle dit "c'est moi et ce n'est pas moi". Ecrire des autobiographies ou des romans, ce n'est ni bien ni mal. C'est de la littérature. Je serais bien en peine de dire qui je préfère, entre Modiano et Ernaux. (Par contre je préfère Stendhal à Zola. Mais bon, mes goûts n'engagent que moi.)
Moi je dis que j'écris des romans, sauf pour mon livre "Le Bébé", le seul autobiographique, le seul sur lequel il n'y a pas écrit "roman". Tous mes autres livres sont inspirés par certains éléments de ma vie, mais mélés à des éléments très différents, avec aussi des moments de pure science fiction ou de fantastique. C'est surtout avec mon imaginaire et avec mes sensations, que j'écris, plus qu'avec ma mémoire ; et bien sûr que mon imaginaire s'est nourri de ma vie, mais je ne raconte pas ma vie parce que je m'amuse plus en écrivant de la fiction.
Je trouve que la fiction dit souvent mieux le réel que le simple document sur la vie. Dans la fiction, on peut méler les sensations et l'imaginaire comme on veut. On n'est pas tenu au cahier des charges de la mémoire. De toutes façons la mémoire est trompeuse. La métaphore, elle, dit bien le réel. Le décalage, le "à côté". Le style, c'est aussi la distance, celle qui vous permet de décoller votre nez du réel, et de le voir, enfin.
A noter que le seul livre de Modiano sur lequel il n'y a pas écrit roman, c'est son dernier, "Pedigree". ... Aucun pathos. L'émotion perce à travers les mots, sans se dire... Le style, toujours. Un pedigree, comme vous savez, c'est le CV des chiens. Leur autobiographie, en quelque sorte.
En conclusion : .... La littérature n'a rien à voir avec le mensonge, ce sont les mauvais livres, qui mentent. La bonne littérature, roman ou pas, dit la vérité sur le monde.
Voilà. Si vous voulez je peux aussi vous envoyer un entretien que j'ai fait sur le thème de l'autofiction, comme vous voulez... En tous cas répondez-moi pour me donner votre note !
Bon courage
Marie Darrieussecq